Takeshi Kitano, le crépuscule d’un monstre sacré du cinéma japonais

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Takeshi Kitano au 70ème festival du film de Venise en 2017

À la fin des années 1970, le cinéma japonais se meurt. Le système de grands studios des majors, qui avaient révélé aux yeux du monde le cinéma de Kurosawa, Mizoguchi ou encore Ozu dans les années 1950 est en perdition. S’en suit alors une profonde restructuration menant au boom des producteurs et réalisateurs indépendants. C’est dans cette dynamique que va débuter la carrière cinématographique de celui qui bouleversera à jamais le cinéma japonais, pour le meilleur et pour le pire : Takeshi Kitano.

Stupeur et tremblements

Acteur, réalisateur, producteur, peintre… Mais avant tout ça, Takeshi Kitano est un comique. À la sortie de l’université (non pas diplômé, mais renvoyé), enchaînant les petits boulots, Kitano officie en tant que garçon d’ascenseur dans un cabaret. Là-bas se produit souvent un comédien au style particulier Manzai, Senzaburo Fukami, qui le prendra sous son aile. Quand un des comédiens venait à manquer à l’appel, Kitano montait sur scène sous le nom de Beat Takeshi ou plus simplement, Beat. Il y rencontre en 1972 le comédien Nirō Kaneko, avec qui il fondera le duo comique des Two Beats. Déjà, son humour grinçant et parodique plaît. La notoriété est rapidement acquise avec le succès du duo, et il participe alors en 1976 à un concours de la NHK (plus grande chaîne télévisée japonaise) visant spécifiquement les comédiens de cabaret, et devient une vedette du petit écran. Ses écarts de langage et ses sketchs vus comme vulgaires par la société puritaine japonaise de l’époque lui valent cependant une suspension d’antenne d’un an. Ne se démontant pas, il se présente tout de même sur le plateau d’une émission. Le studio de la NHK lui interdira alors de se rendre dans ses locaux pendant 5 ans.

Néanmoins, ce n’est que le début pour Beat Takeshi, pour qui la carrière cinématographique s’apprête à débuter en fanfare.

À société violente, acteur violent

En 1983, Kitano est appelé par Nagisa Ōshima pour la distribution du film Furyo. Ce film, racontant l’histoire de quatres hommes dans un camp de prisonniers à Java pendant la Seconde Guerre Mondiale, laisse une place à Kitano dans le rôle du sergent Gengo Hara, officier japonais sadique, aux coté de la grande star britannique David Bowie, dans le rôle d’un major de l’armée américaine. Takeshi Kitano, sortant d’une décennie de sketchs comiques, souhaite prouver sa capacité à jouer des rôles dramatiques aux yeux des Japonais. Le film est bien accueilli à l’international, et Kitano voyage pour la première fois à Cannes pour le Festival du film éponyme.

Kitano dans le rôle du sergent Hara, dans Furyo (1983)

Six ans plus tard, en 1989, il est contacté pour jouer le rôle d’un détective violent et amoral dans le film Violent Cop. Le réalisateur du film Kinji Fukasaku tombe malade, laissant une opportunité à Kitano de faire ses premiers pas en tant que réalisateur. Kitano décide alors de remanier presque entièrement le scénario, pour en faire une critique de la société japonaise de l’époque. Le film est un énorme succès au japon et permet à l’acteur d’envisager une certaine légitimité en tant que réalisateur. Dans la foulée, il sort son deuxième film en tant que réalisateur, Jugatsu, mettant en scène un entraîneur de baseball aux prises avec des yakuzas. Ce film est un échec, autant critique que commercial, et met un coup d’arrêt au parcours sans faute de Kitano.

Kitano continue cependant de produire et réaliser, via sa maison de production Office Kitano. Après A Scene at the Sea en 1991, Kitano s’affaire à un des films les plus marquants de sa carrière : Sonatine. Ce film, qui raconte l’histoire d’un Yakuza tokyoïte parti à Osaka pour résoudre une querelle de gangs, montre une facette plus dramatique et profonde de l’acteur, qui lui permettre de gagner un immense succès à la fois national mais aussi international, se faisant notamment remarquer en France. De retour à Cannes, cette fois en tant que réalisateur et cinéaste, Kitano jubile.

Succès, du fond de l’abysse

1994. Saoul et tourmenté, Kitano prend la route à moto, par une sombre nuit d’août. Sur les coups de 3 heures du matin, il s’écrase contre une rembarde et est sauvé de justesse. Les médecins découvrent un homme défiguré, et, bien que lui ayant sauvé la vie, ne peuvent lui rendre l’entièreté des capacités motrices de son visage, notamment au niveau des expressions. Il restera tourmenté à vie par cet accident, qui impactera énormément ses rôles au cinéma. Durant sa convalescence, torturé et apathique, il se répètera qu’il aurait préféré mourir ce soir là, allant jusqu’à qualifier l’accident de « tentative de suicide » devant plusieurs médias.

Takeshi Kitano dans Hana-Bi, en 1997

Juste après son rétablissement, en 1996, Kitano réalise Kids Return. Ce film est encore une fois un énorme succès national, et préfigure le film qui aura le plus gros impact à l’international pour le réalisateur : Hana-Bi. Jusque là, les films de Kitano restent cantonnés un succès international envers les cinéphiles investis dans le cinéma étranger et les films d’auteur. Hana-bi permettra au grand public de découvrir le réalisateur en tant qu’interprète. Le récit, racontant la vie d’un inspecteur de police faisant face aux yakuzas tout en devant gérer la mort de sa femme, est à la fois poignant, et emprunt de mélancolie. Le film remporte alors le Lion d’or au prestigieux festival du film de Venise lors de sa sortie en 1997, et est dès lors considéré comme un film internationalement culte.

Asakusa Kid

À l’aube des années 2000, Kitano continue de jouer parallèlement dans des films dont il n’est pas l’auteur. Il s’investira à interpréter la figure du samuraï Hijikata Toshizō dans Tabou de Nagisa Ōshima en 1999, mais aussi le rôle lunaire du professeur Kitano dans le film culte et controversé Battle Royale (Kinji Fukasaku, 2000) : ces rôles remporteront majoritairement un grand succès.

Aniki, mon frère en 2001, est quant à lui réalisé et écrit par Kitano. Etant son premier film en langue anglaise, tourné à Los Angeles, celui-ci rencontrera un accueil mitigé, à la fois au Japon et outre-Atlantique. Après Dolls en 2002, et l’adaptation du film de Kenji Misumi Zatoïchi, Kitano marque son plus grand succès commercial. Il réduit peu à peu la cadence, réalisant en 2005, 2007 et 2008 une trilogie autobiographique qui revient également sur son amour de la peinture. En 2010, il marque le retour de ses films de Yakuza avec Outrage qui aura droit à deux suites. Récemment, une apparition en demi-teinte dans le film à gros budget adaptant le manga Ghost in the Shell (Rupert Sanders, 2017) marque un de ses derniers rôles au cinéma. L’acteur, toujours très présent au Japon, que cela soit à la télévision, mais aussi dans les publicités, reste un incontournable du cinéma japonais, l’ayant transformé (ou du moins ayant participé à sa transformation) et garde une place très importante dans la pop-culture nippone.

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Étudiant en production. Passionné de musique et de tout ce qui s'y rapporte.

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